50 ans de la bossa nova

Publié le par ronan

Vous ne me verrez pas souvent citer Le Figaro dans ces colonnes...rire...certains lecteurs n'apprendont rien mais ça regroupe un certain nombre de connaissances indispensables...

Le Brésil fête les cinquante ans de la bossa-nova
Lamia Oualalou
22/08/2008
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Joao Gilberto (ici, lors d'un concert à Sao Paulo en août 2008) a interprété, en 1958, Chega de saudade, le premier morceau de bossa-nova qui s'est vendu à des milliers d'exemplaires.
Joao Gilberto (ici, lors d'un concert à Sao Paulo en août 2008) a interprété, en 1958, Chega de saudade, le premier morceau de bossa-nova qui s'est vendu à des milliers d'exemplaires. Crédits photo : AFP

Pour célébrer l'anniversaire de ce genre musical né en 1958 à Ipanema, Rio de Janeiro l'a déclaré patrimoine national.

Rio de Janeiro

La scène se passe dans un studio musical de Sao Paulo, au cœur de l'hiver austral. Alvaro Ramos, directeur des ventes de Lojas Assumpçao, alors premier distributeur de disques du Brésil, reçoit une équipe venue de Rio de Janeiro lui faire écouter le 78-tours d'un nouveau venu. La chanson, intitulée Chega de saudade est écrite par le duo Vinicius de Moraes- Antonio Carlos Jobim et chantée par un certain Joao Gilberto. C'est la voix de ce dernier, intimiste, minimaliste, qui fait sursauter le patron : «Pourquoi vous enregistrez des chanteurs enrhumés ?», proteste-t-il. Les stars brésiliennes sont alors réputées pour leur coffre, leur timbre de baryton, leur souffle. Alvaro Ramos n'est pas le seul à rechigner. À l'écoute de la chanson d'une minute cinquante-neuf secondes, un autre conclut : «C'est le genre de merde que Rio nous envoie.»

Les producteurs de Joao Gilberto croient à leur affaire, et ils savent qu'une musique, même inventée à Rio de Janeiro, doit être adoubée par la capitale économique du pays pour se faire une place. L'enregistrement du disque a coûté cher : Joao Gilberto a tenu à avoir un micro pour lui, et un autre pour la guitare, un caprice inimaginable à l'époque. L'effort ne sera pas vain : à peine installé dans les bacs, le 78-tours s'arrache. Quinze mille exemplaires d'août à décembre 1958, plus de 35 000 au premier trimestre 1959. Pour l'époque, c'est considérable.

 

Joao Gilberto, Tom Jobim et Vinicius de Moraes

 

La bossa-nova est née. En quelques années, elle transforme des musiciens reconnus en stars mondiales : Joao Gilberto, Vinicius de Moraes, Antonio Carlos Jobim, que tout le monde appelle Tom Jobim, mais aussi Carlos Lyra, Luiz Bonfa et bien d'autres. Cinquante ans plus tard, ses adeptes sont résolus à rappeler que 1958 n'est pas seulement l'année de la première victoire du Brésil en Coupe du monde. «La forme définitive de la bossa-nova est née en 1958, mais elle se cherchait depuis des années», raconte Carlos Alberto Afonso, qui dirige une des plus belles librairies musicale de Rio de Janeiro, la Toca de Vinicius, à Ipanema. Plus qu'une boutique, c'est un véritable temple à la bossa-nova que cet ancien professeur de théorie littéraire a monté avec un petit musée au premier étage. Ouvert à tous (en travaux, il rouvrira fin septembre), il contient plus de 500 pièces uniques, dont l'original du premier enregistrement de bossa-nova.

Mais Afonso ne classerait pas Vinicius parmi les inventeurs qui ont bousculé la musique brésilienne. «Carlos Lyra, avec Maria do Maranhao, ça, c'est de l'innovation, ou encore Roberto Bôscoli», s'exclame-t-il. S'il chérit Vinicius, c'est pour son irrévérence. Le poète chanteur était aussi diplomate, plus connu pour ses soirées au whisky que pour sa capacité à représenter le Brésil, jusqu'à être expulsé par la dictature militaire, lasse des pitreries du saltimbanque. À la fin de sa vie, il présentait son ultime compagne, Gilda ­Mattoso, sa cadette de quarante ans, de cette façon : «Gilda, ma ­veuve.»

 

De New York à Paris

 

Née dans les appartements d'Ipanema, une des plages chics de Rio de Janeiro, la bossa-nova impose son rythme particulier, la syncope, piochant dans la samba, le jazz, mais aussi Debussy, Ravel, Villa-Lobos. D'où le nom, bossa nova, littéralement «nouveau style». À l'époque, elle apparaît comme une réaction au succès du boléro et de la samba du carnaval. Pour la première fois, de jeunes Blancs des quartiers aisés se réapproprient la musique, jusqu'alors le seul domaine (avec le sport) dans lequel la prédominance des Noirs et des Métis était admise.

Le phénomène prend d'autant plus d'ampleur qu'il est reconnu à l'étranger. En 1959, le film Orfeu Negro tourné dans les favelas de Rio par le cinéaste français Marcel Camus remporte la palme d'or du Festival de Cannes et un oscar. Plus que l'intrigue, c'est la musique qui fascine, en particulier une des chansons, Felicidade. En 1962, c'est la consécration. Le Carnegie Hall de New York réunit Tom Jobim, Joao Gilberto, Sergio Mendes, Carlos Lyra et Luiz Bonfa, et bien d'autres. Les musiciens de jazz américains s'en inspirent. En 1963, le saxophoniste Stan Getz se joint au duo Joao et Astrud ­Gilberto, pour faire d'une chanson, Garota de Ipanema, un succès­ planétaire.

Fêtée de New York à Paris, la bossa-nova symbolise, pour la classe moyenne blanche brésilienne, son intégration dans le «premier monde», celui des riches et des puissants. En restant cantonnée à ce bastion, la bossa-nova s'est condamnée à n'être plus que l'ombre d'elle-même au Brésil. Certes, la ville de Rio de Janeiro vient de la déclarer patrimoine national, et des dizaines de musiciens la jouent ici et là, «mais c'est toujours dans les mêmes quartiers : Ipanema, Leblon, Copacabana, les plages chics de Rio», se désole Carlos Alberto Afonso, qui rêve de faire connaître la bossa dans toutes les écoles publiques. «Il faudrait un concert dans le Maracana, le stade de football mythique, symbole des classes populaires, mais personne ne veut financer cela», lâche-t-il.

En attendant, le rythme bohème des plages cariocas est délogé par la musique venue des "bas-fonds". Le 31 décembre dernier, deux millions de personnes de la classe moyenne se sont déhanchées toute la nuit sur la plage de Copacabana au rythme du funk des favelas.

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